Le quartier des cheminots
Depuis le milieu de la fin des années quatre-vingt dix, le quartier Toulon à Périgueux, bénéficie, à l’image du centre-ville, d’un renouveau, on peut dire d’une mutation. Il est établi dans une plaine marécageuse au milieu du XIXe siècle lors de l’arrivée du chemin de fer et l’implantation des ateliers de réparation de la Compagnie du Paris-Orléans. Jean-Serge Éloi, dans son remarquable ouvrage paru chez Fanlac : « le monde cheminot s’est constitué à Périgueux en 1857 avec l’ouvrage de la ligne de chemin de fer venant de Coutras. L’implantation, dans la plaine marécageuse du Toulon, des ateliers de réparation des machines à vapeur et des voitures de la Compagnie du Paris-Orléans (PO), scellera le destin industriel de la ville. Les hommes du chemin de fer renvoient l’image d’une communauté. Mais depuis le milieu des années soixante cette communauté s’est décomposée sous l’effet des mutations du travail et de la transformation des modes de vis : perte d’identité ouvrière d’abord mais aussi disparition d’un monde, celui de la « grand famille » du centre d’apprentissage, du club sportif, du quartier ». Et l’historien de poser la question : « la fin du monde cheminot baigne alors dans la nostalgie d’un âge d’or, mais a-t-il jamais existé ? »
Pour Michel Serre, président du comité de Quartier du Toulon depuis une vingtaine d’année, cette mutation est réelle, logique, et positive : « les traces de l’époque du PO sont toujours visibles mais les temps ont changé, les cheminots qui rythmaient la vie du quartier ont quasiment disparu et ont été remplacés, dans un premier temps, par les retraités et, depuis une dizaine d’années, par l’arrivée de jeunes actifs qui trouvent des atouts dans la qualité de l’urbanisme, de l’environnement, des services et commerces de proximité qui retrouvent ainsi un regain ». La municipalité de Périgueux qui a longtemps vu dans ce « quartier rouge » un adversaire, a su composer et contribuer à ce renouveau.
Là où l’immobilier était en chute, on assiste à une petite flambée des prix pour ces petites maisons typiques qui ont conservé une âme. Ce sont aussi des ensembles résidentiels de type HLM mais qui bénéficient d’une remarquable intégration au milieu d’un espace encore marqué par une certaine nonchalance. C’est l’ouverture d’une annexe de La Poste il y a bientôt 20 ans, l’aménagement d’une maison de quartier ainsi que d’une bibliothèque annexe et un tissu associatif qui ne cesse de se développer. Même si, en apparence, on semble vivre à ‘l’écart des autres, repliés sur son petit domaine familial, on constate une résurgence d’un besoin de relations entre familles, entre générations. On a vu dans les années soixante-dix arriver un restaurant oriental puis, ce fut l’aventure des « Toqués de Bières » un bar à… bières. On se rappelle l’arrivée de Gérard Caillé, qui avait ouvert une pizzeria, « La Sicilia » avant de partir vers d’autres horizons. « A l’époque, on faisait jusqu’à 300 couverts le samedi soir » dit-il aujourd’hui. C’était au début des années 80.
Les plus anciens du quartier tels Christophe Éloi, Pierre Chabrolle, Jean-Pierre Ponthieu se remémorent encore la vie dense de ce quartier. Notamment les grandes fêtes du Périgordin, créées en 1885, qui ont disparu, elles aussi, à la fin des années soixante-dix. C’était aussi la vaillante et accorte « batterie Périgordinaise » née dans l’arrière-salle d’un café du Périgordin en 1924 à l’initiative d’un cheminot, Jean Pons. Des dancings le long de la rue Pierre-Sémard tel « Le Tourbillon » qui attirait des dizaines de couples chaque dimanche. C’est la fameuse sirène qui annonçait la fameuse « débauche ». Ce sont aussi, et surtout, les fameuses maisons dites « Loi Loucheur » qui ont pris une valeur parfaitement estimable et font le bonheur des jeunes couples d’aujourd’hui. Ce sont encore les jardins ouvriers qui jouxtent la voie des stades. Il y a aussi ces noms de rues tels la rue de l’entrepôt, rue du dépôt, des ateliers, du réservoir, Forquenot qui signent cette mémoire cheminote. Traces de la vie ouvrière de jadis, le nombre de bistrots sur l’artère principale, la rue Pierre-Sémard qui sépare les ateliers de la partie résidentielle : sept. Les plus anciens se rappellent de la présence de nombreuses épiceries progressivement amenées à fermer dans les années cinquante et soixante.
Le quartier du Toulon c’est encore des familles solidement implantées et qui témoignent de la filiation entre 2 mondes, celui des cheminots de « la bête humaine » et ces étudiants venus d’ailleurs, ces couples issus d’horizons éloignés et qui ont choisi « Le Toulon » .Guy Penaud, l’historien connu et reconnu y a convolé en justes noces et y vit avec son épouse, née dans le quartier. Il faut se tourner vers lui, quoi de plus normal, pour remonter le temps. Et c’est toujours avec une grande disponibilité qu’il s’accorde le temps nécessaire. « Dans mon ouvrage Le Grand Livre de Périgueux, je consacre quatre pages au quartier du Toulon. Cela va du Quartier en passant par la rue, le ruisseau, le groupe scolaire et la maternelle, mais encore la salle omnisports, les HLM, la société coopérative, la place et le pont, le moulin et la léproserie, l’ermitage et les lavoirs… Une histoire plutôt contemporaine, mais dont, quand même, les premières traces remontent au Moyen-âge… ». Ce n’est pas sans raison que Michel Serre appuyé par la municipalité et l’association « L’éveil à l’image » s’est lancé dans la réalisation d’une vidéo sur l’histoire du Toulon. « Après avoir réalisé une première sur les rues neuves (là où il est né – NDLR) je souhaite fixer une mémoire, une histoire, que les habitants actuels doivent se ré-approprier. La qualité de vie de nos quartiers passe par une connaissance de la géographie, de l’histoire qui constituent l’identité, le socle des relations quotidiennes. » Frédérique Schmittlin, conseillère municipale et pilier du comité de quartier constitue un excellent relais et assure une présence à partir de laquelle la municipalité travaille avec intelligence. « Une vraie démocratie participative et une citoyenneté respectueuse des sensibilités », reconnait le Président du comité de quartier. ont est loin des affrontements de la « Grande grève » de 1920 que Jean-Serge Éloi a traités dans « Les Cheminots à l’assaut du ciel » et paru récemment.
Mais au fait, le Toulon c’est quoi ? Le quartier s’étend e la colline du Puy-Rousseau à celle de Barbadeau. il est constitué par la plaine du Toulon qui a ses limites : à l’est le rebord du plateau de Champcevinel, à l’ouest l’Isle, au nord le plateau de Beaupuy, au sud pas de limite naturelle, si ce n’est le talus par lequel se termine la terrasse Tourny. La plaine du Toulon est une zone de basses-terres correspondant à la plus récente terrasse de l’Isle qui est sujette aux crues dans sa partie basse. L’expression « plaine du Toulon » désignait encore au XiXe siècle un ensemble plus vaste, de la route de Bordeaux à la basse terrasse. L’on parlait de « gare du Toulon » pour désigner la gare actuelle de Périgueux.
Trois éléments sont prédominants : la route, la source, et le chemin de fer. Le nom du quartier provient d’une source, toujours existante. L’origine est latine : Telon ou Telonus qui signifie Dieu de la source. On signale aussi, dès 1205, près de l’église actuelle Saint-Charles, une léproserie dépendant de l’abbaye de Chancelade. À la même époque on évoque l’existence d’un ermitage. Un pont sera construit en 1500 composé de 6 arches détruit en 1821. Guy Penaud relève aussi la présence d’un prieuré de femmes, en 1379. Mais, c’est véritablement avec le XIXe siècle que nait le quartier du Toulon.
Jaques Lagrange, dans son ouvrage Le chemin de fer en Périgord indique : « C’est une révolution sociale qui vient de poindre. Ces ateliers qui assument l’entretien des locomotives à vapeur de type « Mammouth » et « Forquenot », desservant le réseau (…) entrainent l’explosion démographique qui éblouit Périgueux. De nouveaux quartiers sont créés (1850-1880), non seulement à proximité du Toulon mais aussi dans la plaine du Puy-Rousseau, aux pieds des arcades qui alimentent en eau la ville (aujourd’hui disparues – NDLR). Le grand séminaire ouvert en 1859 n’est plus isolé. il forme l’unité d’un grand quartier se développant fortement vers le nord-ouest de la ville ».
Dans le prolongement de cette arrivée massive d’ouvriers venus des campagnes s’implante tout un monde de petits commerçants, artisans, qui, le plus souvent, sont en marge de la société « cheminote » mais leur activité est soumise au rythme des employés de l’atelier. De plus, la solidarité des employés du PO structurée autour de coopératives et associations se traduit par une certaine forme d’autarcie.
Le quartier vit plutôt replié sur lui-même et le relatons avec le centre-ville de Périgueux sont parfois houleuses. Ce sont deux sociétés différentes et presque opposées qui cohabitent tant bien que mal. Les grandes grèves de 1920 ne feront qu’accentuer cette situation. Pour ceux d’en haut – Périgueux – le Toulon est le quartier des « rouges ». C’est encore partiellement vrai aujourd’hui. Mais les évolutions sociologiques constatées influent sur cette réalité. Après les ouvriers, puis les retraités, nous l’avons vu, voici une population composée de cadres moyens, fonctionnaire, retraités, plutôt aisés et qui n’ont plus rien à voir avec les populations à la fois travailleuses et contestataires d’autrefois.
Ces maisons qui font rêver.
En 1928, le ministre Louis Loucheur lance un programme de constructions pour les familles les plus défavorisées, et contribue à l’image d’un quartier comme celui du Toulon.
Face à l’aspect monumental des ateliers qui témoigne de la puissance affichée par « La Compagnie » il y a d’abord ces petites maisons accolées, construites de plain-pied, où la famille s’entasse dans 2 pièces réduites, la cuisine et la chambre. L’eau est tirée du luit que l’on partage souvent avec les voisins, dans le petit jardin que l’on entretient toujours soigneusement derrière la maison. Au fond de ce petit jardin sans prétention on retrouvait les cabinets d’aisance, parfois un petit élevage de poulets ou de lapins dans un fouillis de cabanon. Revenu des « ateliers », le soir et le dimanche, chacun s’activait à l’entretien de quelques légumes bienvenus pour améliorer l’ordinaire. Puis, ce furent les fameux jardins ouvriers qui ne subsistent plus que près de la tour HLM près de la rivière, au Puy-Rousseau ou aux Vergnes. Aujourd’hui on en retrou la trace rue André Faure, jadis bien nommée rue des Tuilières, où une habitation actuelle regroupe deux anciens logements.
L’atmosphère, au début du siècle dernier, était synonyme de grisaille, de misère, de fatigue. La dignité naissait dans l’âpreté de la vie quotidienne. Sans aller jusqu’au misérabilisme de « Germinal », la présence de trop nombreux débits de boissons tout au lin de la rue Pierre-Sémard n’était pas innocente.
Louis Loucheur, né en 1872, décédé en 1931, fût ministre du Travail et de la Prévoyance sociale entre 1926 et 1930. Face aux mouvements sociaux et à la crise du logement qui s’accentue du fait de la construction très réduite de logements dans la période d’après guerre, il fait voter une loi dite « Loucheur » qui prévoit la construction sur 5 ans de 200.000 logements HLM et 60.000 logements à loyer moyen, programme bien inférieur aux besoins estimés à 1 million de logements. L’effort financier fait par l’état en application de cette loi ne sera pas renouvelé dans la période de l’entre-deux guerres et la pénurie de logements fut dramatique à la veille de la seconde guerre mondiale.
En 1928, la loi Loucheur donne la possibilité aux particuliers d’emprunter à l’État, à un taux très faible, les sommes nécessaires à l’achat d’un terrain et à la construction d’un pavillon. Tout en laissant chaque propriétaire libre de choisir son entrepreneur, le matériaux et le plan de sa future maison, l’état mandate un de ses architectes pour suivre et vérifier la qualité de la construction. Ainsi, grâce à cette novatrice et profondément sociale, de très nombreux pavillons sont édifiés dans la banlieue parisienne donnant l’occasion à des familles modestes d’accéder à la propriété. Pour permettre une construction au meilleur prix, les constructeurs proposent rapidement des modèles standards dont les variantes tiennent le plus souvent à des détails de décors. Une certaine uniformité en découle, donnant à des quartiers entiers des villes limitrophes de la capitale un visage urbain tout à fait particulier. Le « pavillon de banlieue », avec son jardinet clos et sa façade en pierre meulière, fleurit un peu partout là où n’existaient, il faut bien le dire, que des masures et quelques belles maisons de maitres « protégés » par de grands parcs.
Incontestablement, le quartier du Toulon est la marque la plus spectaculaire de la révolution industrielle qui accompagne le monde et sa traduction parfaite, ici même, à Périgueux. Phénomènes économique, urbanistique, social, historique, le Toulon peut à sa manière entrer dans ce que l’on appelle aujourd’hui « l’archéologie industrielle ». Un quartier qui, après avoir accueilli sa salle de musiques amplifiées, bénéficie d’une salle de sports toute nouvelle à la place d’une friche industrielle. un quartier qui a donc l’habitude des mutations, et sait s’adapter aux temps futurs en n’oubliant jamais ses racines. Ce n’est pas là son moindre atout. La bête humaine est bel et bien vivante.
Le quartier du Toulon n’a pas que des maisons Loucheur. Exemple, cette élégante demeure située à la limite des quartier de Saint-Martin et du Toulon, au croisement des rues Pasteur et Lagrange-Chancel. Bâtie au début du XXe siècle, et connue sous le nom de la Glacière, elle rappelle le souvenir de la glacière mécanique qui a été exploitée dans ce secteur aux XIXe et XXe siècles. Cette demeure a été rénovée en 2000
Pour aller plus loin :
« Les cheminots à l’assaut du ciel »
Jean-Serge Éloi (2006)
« Le monde cheminot à Périgueux »
Jean-Serge Éloi (2005)
Article et photos : Pascal SERRE / Journal du Périgord / Novembre 2006
Avec son aimable autorisation